Couverture du livret d'inauguration

Dans le cadre du devoir de mémoire, l’association des Anciens du Lycée Gay-Lussac rend chaque année hommage aux morts du lycée. Cette cérémonie s’est déroulée le 20 novembre dernier, à l’issue de l’assemblée générale annuelle, en présence de Monsieur le proviseur du lycée Didier Leroy-Lusson accompagné de quelques élèves du Lycée. Retour sur le discours prononcé avec éloquence par notre camarade Pascal Rouffignac. 

 

Nous sommes au mois de mai 1915. Martial et Marion sont un couple de paysans modestes du village de Lessines, sur la commune de Couzeix. Ils vivent encore douloureusement le décès accidentel de leur fille, à l’âge de 18 mois. Leurs deux fils, Henri et Eugène, sont de solides gaillards de 22 et 21 ans, partis sur le front, bien loin des leurs, appelés, avec tant d’autres, à reprendre l’Alsace-Moselle.

Ils n’ont pas eu la chance de poursuivre leurs études après le certificat. Il est toutefois possible que l’école leur ait fait apprendre que Jules Ferry, pour justifier la politique coloniale de la France, clamait qu’elle était enfermée « dans les étroites limites du traité de Francfort ».

Voilà qu’en ce mois de mai 1915, alors que les travaux de la ferme occupent largement ce couple de quadragénaires, Martial reçoit une lettre du médecin chef de l’ambulance n°7 du 16è Corps d’Armée. Je cite :

« Le soldat Eugène, du 53ème Régiment d’Infanterie, a été apporté à notre ambulance le 1er mai. Un obus l’avait cruellement frappé et, dès la première heure, toutes les craintes étaient légitimes. Nous nous sommes employés de notre mieux, médecins et infirmiers, à adoucir ses derniers moments. Un instant, nous avons pu croire avoir partie gagnée. Mais ce n’était qu’une trêve trompeuse et, dès le 8 mai, notre blessé allait rejoindre au champ de repos à Somme-Suippe ceux de ses camarades qui, comme lui, sont tombés pour la patrie.

Sa tombe est soigneusement entretenue et il sera aisé de le retrouver à la fin de la campagne. Les menus objets trouvés en sa possession ont été dirigés vers Paris, d’où ils vous parviendront.

Veuillez croire, monsieur, à nos sentiments dévoués. »

Henri, quant à lui, partira en mai 1916 pour l’Italie. Le 11 novembre 1918 ne marquera pas pour lui la fin de la campagne car l’armistice ne sonne pas pour autant la démobilisation. Les quelques cartes postales envoyées à ses parents traceront ses périples transalpins. Il ne rentrera en Limousin qu’à la fin de l’année 1919. Il se mariera, donnera naissance à trois filles qui seront élevées dans le souvenir de leur oncle Eugène. Henri et sa mère se rendront d’ailleurs en 1922 à Somme Suippe, pour rapatrier le corps de leur frère et fils, juste avant qu’un beau-frère d’Henri, Jean, ne meure des suites de la guerre.

Discrous au Monument aux morts du Lycée Gay-Lussac

Discours hommage prononcé cette année par Pascal Rouffignac, en présence de Monsieur le proviseur Didier Leroy-Lusson, au Lycée Gay-Lussac de Limoges et de Danièle Bonneau, présidente de l’association.

Et cette famille sera, pour la génération suivante, impactée par un nouveau conflit mondial. Les gendres d’Henri prendront part au combat contre les idéologies mortifères véhiculées par les totalitarismes que subira l’Europe, en même temps qu’ils sauront développer des relations d’estime et d’amitié avec des hommes et des femmes en Allemagne, en Autriche ou en Italie. Henri et les siens, restés en Limousin, assisteront, abasourdis, au drame d’Oradour, au lendemain de celui de Tulle.

L’armistice du 8 mai 1945 sera aussi pour eux le 30ème anniversaire de la mort d’Eugène.

Nous sommes rassemblés ce soir devant ce monument aux morts. Il y a les noms des élèves et personnels du lycée qui ont péri pendant la « Grande Guerre ». Peut-être Henri et Eugène en connaissaient-ils certains. Il convient de mentionner aussi ceux qui ont péri lors du conflit précédent, alors que nous nous rappelons cette année les 150 ans de son dénouement, ainsi que ceux des conflits suivants. Tous ces hommes, jeunes, sont, pour la plupart d’entre nous, des inconnus, mais ils s’enracinent dans des histoires familiales, faites à la fois de beaux moments et de drames. Ils nous appellent à nous nourrir des leçons des événements passés, les yeux tournés vers l’avenir, pour construire la paix.

Et puisque nous sommes dans un lycée, il est bon de mentionner que les échanges scolaires et universitaires, les jumelages, notamment entre des établissements ou régions d’Allemagne et de France ont constitué depuis des décennies un ciment des actes de réconciliation en Europe. Et aujourd’hui, la mondialisation met les antipodes à nos portes : un simple clic suffit. Alors à nous tous la mission, quel que soit notre âge, dans nos paroles et surtout nos actes, de promouvoir la paix, dont nous percevons, à travers les replis frileux et les conflits, qu’elle est encore bien fragile. Puissent nos engagements promouvoir une fraternité dénuée de naïveté et riche de nos histoires et de nos diversités. Il nous faut avancer au large. Toutes ces personnes, dont nous honorons ici fidèlement la mémoire, nous y invitent, voire nous y obligent.

 

En savoir plus sur le Monument au morts du Lycée Gay Lussac.

 

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