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A l’occasion de l’assemblée générale des Anciens de Gay-Lu, nous avons proposés à nos autrices et auteurs, anciens (ou actuels) de Gay-Lu de participer à un mini salon littéraire, samedi 18 novembre au lycée Gay-Lussac de Limoges. Une première !

Une première cette année, la création d’un mini-salon littéraire avec les auteurs et autrices, Anciens de Gay-Lu (ou actuels). Ils sont nombreux à publier des romans, essais, beaux livres, histoires pour enfants et autres documents, nous vous partageons régulièrement leurs actualités dans le Mag (rubrique « En librairie«).

Rencontres et dédicaces

Ces autrices et auteurs, et éditeurs ont d’ores et déjà confirmé leur participation pour vous présenter leurs actualités littéraires :

Les auteurs et autrices

Les éditeurs

  • GAY-LU TIMES
  • ASPHARESD et Point d’Æncrage (Jean-Paul THIBAUDEAU) : les artistes de la Vallée des la Creuse
  • Les Anciens de Gay-Lu : Les Destins d’un Lycée (Culture & Patrimoine en Limousin) et 150 ans de fidélité 1867-2017 (auto-édition à l’occasion des 150 ans de l’association)

Mini salon littéraire : les Informations pratiques

Ce mini-salon du livre se déroulera le samedi 18 novembre, dans l’enceinte du Lycée Gay-Lussac, de 14h30 à 16h30 Hall CPGE et se clôturera par un pot de l’amitié.
Au programme : rencontre des auteurs, dédicaces… Attention : l’accès au lycée Gay-Lussac se fera par la Place Saint-Pierre exclusivement.

Pour des raisons logistiques, aucune librairie ne peut être présente sur place. Toutefois, les auteurs se sont organisés pour proposer certains de leurs ouvrages à la vente.
Attention, les CB ne sons pas acceptées, pensez à venir avec des espèces ou chèque bancaire, voire avec vos propres exemplaires de livres que vous souhaitez faire dédicacer !

 

L’organisation de ce premier salon a été rendue possible par l’implication bénévole de membres de l’association, soutenus par l’équipe du Lycée Gay-Lussac, un grand MERCI à eux. Membre du conseil d’administration ou « simple » adhérent, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !

Mobilisez-vous à nos côtés, c’est ça la force du réseau !

Rejoindre l’équipe pour proposer mon aide, mes compétences

Proustienne émérite, et ancienne du Lycée Gay-Lussac de Limoges, Elyane Dezon-Jones s’allie à Emily Eels pour proposer un bel ouvrage combinant les multiples interprétations visuelles de l’œuvre de Marcel Proust.

Note de l’éditeur

« Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres, tous les contresens qu’on fait sont beaux », écrit Marcel Proust. Les multiples interprétations visuelles de son œuvre illustrent sa définition du « beau livre », depuis les premières éditions illustrées d’À la recherche du temps perdu jusqu’à la bande dessinée de Stéphane Heuet.

Si Madeleine Lemaire, qui illustra Les Plaisirs et les Jours, publié en 1896, est relativement connue, le travail d’Hermine David reste largement ignoré, sans parler des pointes-sèches de Barbara Zazouline. Ce sont pourtant les frontispices d’Hermine David, réalisés entre 1929 et 1936, qui ont imposé le choix de scènes repeintes successivement par Kees Van Dongen, Philippe Jullian, Emilio Grau-Sala et Jacques Pecnard. Tous ces artistes se sont heurtés au paradoxe de devoir représenter « un peu de temps à l’état pur », qui était l’objectif de Proust.

Reprises et variations se sont succédé dans les éditions illustrées de la Recherche, depuis les in-textes dans celle d’Un amour de Swann de Pierre Laprade dans les années 1930, jusqu’à celle de Pierre Alechinsky, qui l’orne dans les marges, et de Yan Nascimbene, persuadé qu’« il faut illustrer entre les lignes […] pour offrir peut-être un petit plaisir supplémentaire au lecteur ». Dans le même esprit, en faisant appel à des dessins peu connus de Proust et à ceux d’autres artistes, dont un inédit de Laurent de Commines ou un de Sempé provenant d’une collection particulière, cet ouvrage examine comment les artistes ont relevé le défi d’illustrer À la recherche du temps perdu.

« Illustrer Proust : l’art du repeint », par Emily Eells et Élyane Dezon-Jones. Editeur : Sorbonne Université Presses. Septembre 2022
Libre broché, format 22,3×22,4cm. ‏ 292 pages. ISBN-13 ‏ : ‎ 979-1023107319. Prix public 36 €.

A propos des autrices

Élyane Dezon-Jones est professeure émérite de l’Université de Washington. Ancienne du Lycée Gay-Lussac de Limoges, elle est l’autrice de Proust et l’Amérique (Nizet, 1982), et de Marie de Gournay. Fragments d’un discours féminin (Corti, 1988). Elle a procuré une édition critique du Côté de Guermantes (« GF », 1987) et de Du côté de chez Swann (« Le Livre de poche classique », 1992). Elle a coordonné avec Michèle Sarde l’édition des lettres de Marguerite Yourcenar D’Hadrien à Zénon (Gallimard, 2004).  Elle publie le roman « Meurtre à Montaigne » en mars 2019 sous le nom de plume d’Estelle Monbrun. Elle est actuellement directrice du Bulletin Marcel Proust.

Emily Eells est professeure à l’université Paris Nanterre. Elle a procuré l’édition de Sodome et Gomorrhe dans la collection « GF » en 1987 et a publié plusieurs articles sur les pastiches de Proust et la genèse d’À la recherche du temps perdu. Elle est l’autrice de Proust’s Cup of Tea: Homoeroticism and Victorian Culture (Ashgate, 2002) et coéditrice, avec Naomi Toth, de Traduire la sonorité dans l’œuvre de Proust (Champion, 2018). Elle s’intéresse aux arts visuels, sujet de plusieurs de ses publications.

 

Quatre-vingt-dix ans après la traduction de « Sanctuaire », qui révéla Faulkner en France, Romain Artiguebère nous livre une analyse de l’écrivain, romancier de la trace, de la sensation et surtout de l’héritage. Sise dans la terre fendue – et surtout fictive – du comté de Yaknapatawpha, cette œuvre magistrale a dépassé l’indécente assignation à résidence que certains cherchèrent à lui appliquer, renvoyant ce bout d’Universel à une Littérature locale bien éloignée de sa nature première. A travers Faulkner, une part de l’Homme se révèle, dans sa misère d’héritier, son épaisseur tragique de mémoire vive, de bois vivant et perpétué, toujours mu par la sève originelle ».

« Je n’écris pas pour dire ce que je pense, mais pour le savoir ». Sans doute est-ce mon courant de conscience qui me conduit à associer cette phrase d’Emmanuel Berl à l’œuvre de Faulkner, à son acte d’écrire le Sud meurtri d’une Guerre sans âge, celle de la Sécession, terrible trace qui ne disparaît pas, comme l’atavisme des Compson, des Sartoris ardents et des Snopes traînants, la honte active, tenace et lasse d’une terre qui ne ment pas, la résilience d’un feu sans armistice.

Ecrire dans la moiteur des fiefs de Lee, donner à voir ce Mississippi où l’on lynche à l’appel d’un slogan, où l’on remet le destin de comtés centenaires aux Vardam et Bilbo, ces potentats locaux qui tinrent sous leur férule confédérée, sous le joug démocrate au discours enfiévré, le destin d’une Amérique arrachée de ses fondations et privée pendant quatre ans de ses mamelles philadelphiennes. Comprendre les lignées bouleversées par l’angoisse de n’être plus qu’un nom effacé par le Temps. Tels sont sans doute les sensations et les effets que l’œuvre faulknérienne procure au lecteur, une œuvre dont le style est à lui seul un paradoxe extraordinaire, comme la transcription naturelle d’une oralité, d’un « chant » populaire si bien travaillé qu’il est devenu la prose des Hommes défaits.

Faulkner fut un brûleur, cavalier frénétique, aviateur tumultueux, ivrogne invétéré dans cet « Etat du Magnolia » où coulent toujours Bourbon, liqueurs chaudes comme le Sang et bien sûr Salsepareille. C’était aussi un Homme discret, un de ces génies calmes habités d’un bon sens qui diminue parfois mais qui chez lui nourrit une œuvre à l’abondance fluviale, coulant dans Jefferson, aux pieds des caroubiers de Yaknapatawpha. Une œuvre complexe au Style alambiqué, entremêlé parfois comme les affres intérieures de l’héritier. Une œuvre épaisse, ardue, exigeante et prolixe. Un corpus épatant qui valut à la plume de Lafayette – pardon pour ces surnoms qu’il vouait aux gémonies de la vulgarité – l’obtention d’un Nobel en 1950, après un an de rumeurs folles, dans le fatras lassant des hésitations de jurés qui souhaitèrent le lui attribuer en 1949.

Cette œuvre est celle de la marque et du stigmate, celle de la trace qui ne part pas, de la souillure et des lignées dont ne se départit vraiment jamais. Elle est aussi celle des patronymes, des allégeances à la Pensée commune d’un terroir qu’on ne quitte pas plus que la relève d’une communauté, la horde des « Junior », n’abandonnerait un nom sans lequel on ne peut être.

La famille Sartoris forge une grande part de l’œuvre générale. Elle est un patronyme récurrent, courroie de transmission du message faulknérien. C’est une lignée battue par les vents du chaos et dont tous les membres sont frappés de morts prématurées. Comme les Rougon, Macquart, Thibault ou Buddenbrook, elle garnit les tombereaux d’anthroponymes élevés en archétypes, de noms que l’on dit propres et qui marquent un espace, épaississent un écrit grâce à eux élevé en référence. Dans L’Invaincu, roman de formation qui détermine cette lignée des Sartoris, Bayard instille, dans sa propre famille, la faute et le péché en désirant l’interdit au cœur de la Guerre, c’est-à-dire la propre femme de son père. Ainsi retrouve-t-on là un peu de cette charge honteuse qui fit le sel de Radiguet dans son Diable au corps, l’intrusion d’un front immatériel dans « l’arrière » protégé des combats. Car l’attirance incestueuse du jeune Bayard pour Drusilla ne révèle pas seulement la matrice du Faulknérisme, elle est la personnalisation d’un tabou, l’exposition d’un mal si puissant d’être tu.

Un génie qui s’ignora toujours

Il semble que Faulkner n’ait pas vraiment compris l’origine de sa destinée. Sans doute est-ce là le succulent paradoxe du romancier de l’indice et de l’hérédité, capteur du trait qui détermine, du geste qui confond, de toutes les extensions du domaine de l’anatomie, sculpteur d’identités, de clans gorgés de souvenirs familiaux, d’une Mémoire de comtés.

Pour son biographe Frederick R. Karl, Faulkner « contredit presque systématiquement ce dont il s’est nourri », une assertion qui nous éclaire lorsqu’on songe aux rapports que l’auteur entretenait avec le Sud. Il est difficile d’établir la nature d’un lien qui, de toute manière, harnache et détermine comme un nom, porté avec la fierté nécessaire que la circonstance mue en charge patronymique. Ce Sud, Faulkner le révère-t-il ou le stigmatise-t-il ? La même ambivalence nous enserre dès lors qu’on s’interroge sur la question raciale. Et ce fut à l’occasion d’une rencontre avec l’écrivain Mohammed Mbougar Sarr, formidable « globetrotteur » littéraire « si souvent passé par l’Amérique et les vieilles terres confédérées », qu’a jailli devant mois l’Institution faulknérienne, la statue de Légende que le Goncourt 2021 qualifia « d’essentielle », c’est-à-dire de recours dans ce qui constitue, à certains égards, le grand mensonge du monde étasunien.

Et c’est sans doute ce goût du Vrai, la révélation d’une Gloire déchue maintenue par la réminiscence, qui constitue le nœud gordien du roman faulknérien. Car, comme le soulignait à raison Heidegger, « l’art est un advenir de la vérité ». Et c’est précisément devant cet art que l’auteur s’est effacé, comme un père éclipsé par son fils continuateur de la lignée. Il l’a fait intégralement, c’est-à-dire jusque dans son épitaphe, choisie par lui avec une insolence de trompe-la-mort, une assurance qui dit beaucoup de la grandeur morale du personnage : « il fit des livres et il mourut ». L’éternel et la postérité n’ont qu’à bien se tenir. Et il n’est pas nécessaire de s’intéresser à l’Histoire de l’Amérique pour apprécier un « style » certes parfois tortueux mais toujours poussé par le souvenir de la fierté passée, un souvenir tenace et résolu de l’extrême Sud étasunien par trop conscient de son déclin. Le comté fictif de Faulkner est en effet comme ces fauves blessés qui bougent encore, l’animal tiraillé par l’abandon et le sursaut, rugissant dans son baroud d’honneur, le résidu actif et las, capitulard et résistant, d’un monde éternel et pourtant finissant, celui des petits Blancs du Sud profond qui ne cesse pas d’expirer.

A Yaknapatawpha sommeille la Vérité fragile des lignées confédérées, où chaque mort est une étape de plus vers l’amoindrissement du Souvenir, fardeau libérateur qui choit à moins qu’on ne l’exerce.

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Perrine Tripier, ancienne étudiante de classe préparatoire littéraire du lycée Gay-Lussac de Limoges, aujourd’hui professeure de Lettres, publie son premier roman, « Les guerres précieuses » chez Gallimard. Une autrice prometteuse, un roman plein de délicatesse.

En savoir plus sur la genèse du roman en écoutant le podcast de France Culture :

« La nostalgie retrouvée… , le premier roman de Perrine Tripier. Que reste-t-il des printemps, des étés, des automnes et des hivers d’une vie ? Dans ce premier roman, Perrine Tripier, 24 ans, se projette dans la peau d’une femme en fin de vie, se remémorant de son passé. »
Ecouter le PODCAST France Culture avec Perrine Tripier

Le mot de l’éditeur

« Je marchais à pas lents de bout en bout dans la Maison, et la traîne de fourrure me suivait comme un lourd serpent louvoyant. Bêtes fauves, bois de camphre, pin qui brûle et pain qui fume, j’emplissais la Maison de chaleur et de lumières. J’en étais la force vitale, l’organe palpitant dans un thorax de charpentes et de pignons. »

Hantée par un âge d’or familial, une femme décide de passer toute son existence dans la grande maison de son enfance, autrefois si pleine de joie. Pourtant, il faudra bien, un jour ou l’autre, affronter le monde extérieur. Avant de choisir définitivement l’apaisement, elle nous entraîne dans le dédale de sa mémoire en classant, comme une aquarelliste, ses souvenirs par saison. Que reste-t-il des printemps, des étés, des automnes et des hivers d’une vie ?

« Les guerres précieuses » de Perrine Tripier, édité aux Editions Gallimard, collection blanche. Parution : janvier 2023.
ISBN 9782072961076. Livre broché, 192 pages. Format 14 x 20cm. Prix de vente conseillé : 18 €
Ouvrage également disponible en édition gros caractères.

 

L’autrice

Perrine Tripier est originaire de Saint-Junien en Haute-Vienne. Après une classe préparatoire littéraire au Lycée Gay-Lussac de Limoges, Elle poursuit ses études à l’Université de Rennes, d’où elle sort en 2021 est diplômée M2 de littérature. Elle est professeur de lettres dans un lycée en Bretagne.

Né en 1896 à Chicago et mort en 1970 à Baltimore, l’écrivain John Dos Passos est de ces plumes injustement oubliées par la postérité. Père d’une écriture expérimentale, qui souligne avec finesse les travers de l’Homme pressé, la crise de la transcendance et l’horizontalité d’un monde aux promesses toujours déçues, cet amoureux de la Vieille Europe n’a pas eu droit, en 2020, à l’anniversaire posthume qu’il méritait. C’est cet affront que Romain Artiguebère tente modestement de laver, tant l’œuvre de « JDP » se doit d’occuper, aux côtés de Faulkner, Hemingway, Fitzgerald ou Wharton, une place de choix dans le rayon étasunien de nos bibliothèques.

Habité depuis ma prime jeunesse par cet « ange-démon qui pousse à me pencher sur tout ce qui guette déjà le temps avec des yeux d’oubli », je ne me suis jamais lassé des saveurs de l’infime aux relents de pitié. Claironne en moi, comme chez Gary, une étrange attirance pour ce qui trop souvent s’efface devant l’éphémère, la gloriole des succès partiellement mérités. C’est une propension d’homme seul, rétif à ce que Roger Nimier vomissait à raison : « la mode ». Et ce sourd épanchement pour les biens occultés m’a très souvent conduit sur les rives du folklore. Ce furent des recensions cartographiques aux airs d’explorations larbaldiennes, des logorrhées solitaires exposant de dérisoires principautés, quelques soliloques enjolivant l’enclave de Saint-Marin, la splendeur tarie de Nauru et la grandiloquence du souverain George Tupou. Par une coquetterie tirant vers la gourmandise, je me repais toujours des hasards, quitte à les convoquer un peu parfois. Et j’aborde un auteur par le petit bout de sa lorgnette éditoriale, entreprenant des assauts littéraires comme on charge un adversaire. A revers. Préférant les flancs ardus aux voies royales de la distinction, de la préface ou des fats incipit. Je traîne alors en librairies comme un archéologue, un traqueur de trésors oubliés dont la beauté n’éclaire hélas plus rien et qui sommeillent dans l’ombre poussiéreuse des honneurs vulgaires. John Dos Passos a subi beaucoup d’injustices. Il fut mis au rebut par la critique, abandonné de Sartre – qui vit pourtant en lui dès 1938 « le plus grand écrivain de notre temps » – et moqué par Hemingway, dont l’esprit partisan ne supporta pas la pureté justicière de son homologue dans l’affaire José Roblès. C’est d’ailleurs cette expérience malheureuse de la guerre d’Espagne qui fit croître en Dos Passos les germes du doute quant à son engagement à l’extrême gauche de l’échiquier politique.

John Dos Passos reads aloud to Katy Dos Passos(?) aboard the Anita, 1932. Photograph in the Ernest Hemingway Collection at the John F. Kennedy Presidential Library and Museum, Boston.

Pour entrer dans son œuvre et la saisir pleinement, il convient d’oublier les stériles comparaisons avec d’autres écrivains américains. Face à Hemingway, par exemple, Dos Passos oppose une confection qui lui est propre, un style particulier, un rythme singulier. Il nous laisse en héritage deux trilogies – USA et Washington DC – où s’entremêlent des biographies historiques renseignant sur l’Amérique ardente, des « collages » d’actualités brutes alliant slogans publicitaires assourdissants, allocutions ou chansons populaires.

Premier témoin de « l’Occident » naissant

John Dos Passos, fils d’un avocat d’origine portugaise, est certes né à Chicago mais son cœur d’enfant illégitime ne cessera de balancer, dans sa vie comme dans son œuvre, entre l’Europe et le Nouveau Monde. C’est sans doute l’île de Madère, dont la géographie elle-même contient le tiraillement qui sépare et rapproche les deux rives de l’Atlantique, qui résume le mieux l’attraction du père de USA pour une Europe où il fut d’abord élève dans un internat anglais puis par la suite ambulancier durant la Première Guerre Mondiale. De la Guerre, il est souvent question dans l’œuvre de l’écrivain. Car celui-ci est le maître du désenchantement, des vies brisées, des rêves de l’Amérique première bafoués par les « nouveaux venus » qui s’enrichissent sur la bête, entravent l’espoir des « grosses galettes » et surtout – thème récurrent s’il en est dans cette œuvre foisonnante – corrompent les valeurs institutionnelles des Pères Fondateurs.

J’ai découvert Dos Passos en confiné, m’immergeant avec lui dans l’Amérique en feu quand nos corps gourds des réclusions forcées fustigeaient l’agonie de notre condition. Ce fut là le paradoxe de cette rencontre : errer dans la ville que nous ne voyions plus, râper l’asphalte frais depuis nos quotidiens murés, sauter de tram en train pour mieux saisir les épopées des damnés du bitume.

Dos Passos est d’abord un chroniqueur, un écrivain de l’Histoire dont les personnages sont surtout des miroirs. Cette Histoire est celle d’une Amérique en mutation, contrariée par les soubresauts d’un monde encore européen et qui, comme l’écrira Paul Morand à l’issue de la Première Guerre Mondiale, changera finalement de centre pour laisser les Etats-Unis « rafler la mise ».

Mais Dos Passos, dont – pour les esprits grincheux de la critique facile – la modernité passe comme les beautés, nous offre avant tout des procédés dynamiques, un enchevêtrement de techniques visuelles et olfactives absolument extraordinaires. C’est un cinéma écrit qu’il déploie, une fresque américaine dont « l’œil caméra », chapelet de descriptions sensorielles incrustées dans la trame narrative, casse la facilité d’un mouvement qui broie. On est bien loin du rouleau de Kerouac ou des lignées faulknériennes sises à Yaknapatawpha. Avec Dos Passos, l’Atlantique est certes une passerelle et le trottoir océan mais le roman se subdivise toujours comme les paperolles de La Recherche ou des collages de prime jeunesse.

La prose de Dos Passos vit comme le flux, le caprice d’une marée littéraire où surgissent des baïnes et des vagues légendaires. Sa propre fille révéla d’ailleurs l’entreprise réussie de son père : que les « mots vivent sur la page » et, surtout, « qu’ils en sortent, se dressent, sautent à la figure puis explosent comme des bombes ». De cette explosion lettreuse nous ne sortons pas blessés, mais au contraire grandis.

USA, Cathédrale de verre, de bitume… et de papier

Ce qui frappe en refermant la trilogie qui lui valut sa renommée, c’est l’incapacité que l’on éprouve à décrire un personnage autre que la ville. C’est bien là tout le génie de cet auteur : écrire sur la vitesse qui happe, le mouvement qui noie, les organisations – Partis comme Syndicats – qui, loin de révéler l’homme à lui-même, l’étouffent et le corrompent. Dos Passos est donc un écrivain des espérances déçues, des ardeurs déjà chues dans un pays marqué par le triomphe de l’injustice et l’étiolement des libertés depuis l’affaire Sacco et Vanzetti.

L’enfant de Chicago est aussi, nous l’avons esquissé, un créateur protéiforme.

Comme Sterne avec Tristram Shandy, dont l’ordonnancement, la technique narrative et les pages marbrées eurent des airs de révolution romanesque, John Dos Passos ponctue souvent le fil de ses fictions d’entrefilets variés qui cassent la narration mais rythment aussi l’action et enrichissent le message d’un auteur-prophète, annonciateur d’une société de l’image et du son, pervertie par le bruit, la mise en scène de soi, la croyance nouvelle de l’Homme sans transcendance, dont la Trinité ne tient plus que dans le Mot, la Promesse et l’Avidité.

Dos Passos par-delà USA

On aurait tort de faire de Dos Passos le père d’une seule trilogie. Même à Paris, où je me plais souvent à évaluer le cours d’une Plume par des odyssées de librairies, ses romans mineurs sont souvent réservés à la commande et n’attirent pas beaucoup les chalands oublieux. Si USA domine, beaucoup d’autres chefs d’œuvre ont pourtant vocation à sortir de l’anonymat. Certains, comme Numéro Un ou Milieu de Siècle, parce qu’ils savent capter les tares d’un temps qui ne sont pas étrangères à celles du nôtre. C’est par exemple le cynisme exaspérant du candidat Crawford, un de ces meneurs d’hommes capables d’affirmer, « pour qui devient une personnalité politique connue », qu’il est « rudement utile d’avoir une vieille mère présentable », mais aussi le servage volontaire et l’abaissement moral de son conseiller Tyler Spotswood, lequel révèle sans doute le dégoût de l’auteur pour une engeance politicienne déjà vilipendée dans d’autres œuvres, où transparaissent notamment la corruption des syndicats et une certaine déception vis-à-vis du New Deal de Roosevelt. Numéro Un, que je conseille ardemment à l’heure où le Politique renaît en France, est aussi la chronique d’un abaissement moral, d’une oxydation des idées au profit du pouvoir et de la longévité.

Nous devons enfin à Dos Passos des œuvres expérimentales qui, comme des ballons d’essai réussis, donnent à lire la crise de l’Homme et l’absurdité de la quête dans ce qu’il nomme lui-même une « nation vaincue ». Dans Les Rues de la Nuit, dont nous célébrerons l’année prochaine le centenaire de la publication, l’errance nyctalope de Fanshaw et Wenny ont des airs de cauchemars éveillés. La médiocrité ambiante assassine le destin des personnages et sape la finesse de ce trio aspirant bien plus que ce qu’un continent matérialiste est à même de fournir à sa nouvelle génération. Le Nouveau Monde est l’assassin du style, de l’esthétisme et de l’ancien, c’est-à-dire d’une Humanité qui ne résonne plus dans le chaudron de l’Amérique ardente. Et le débat permanent qui lie Fan, Wenny et Nancibell, marcheurs invétérés fuyant l’échec et rencontrant partout ce qui génère pourtant leur marche, leur permet d’établir une conclusion : l’Homme nouveau n’est plus porté à la profondeur. Quand Wenny regrette que la Raison ne soit qu’une « illusion », les Hommes réfléchissant « trop souvent aux choses après qu’elles se soient produites », Fanshaw pense – en réalité dans le même esprit – que « la différence entre nous et des gens comme Pic de La Mirandole ou Pétrarque » tient précisément dans le fait qu’ils « pouvaient mettre leur Raison dans la pensée, dans l’art et la libération du monde » quand leur génération la « gaspille dans des complications absurdes ».

 

Dos Passos est donc le Messager du monde contemporain, celui qui broie l’individu, donne à croire sans remplir sa promesse, celui qui enserre jusqu’à l’injustice, le désespoir et la malchance, qui rend la vie répétitive, creuse et matérielle. Ville, Syndicat, Parti, Usine ou Université sont les théâtres de possibilités sans cesse entravées. L’Amérique pionnière semble avoir cédé sous la cupidité. Dos Passos, sans doute un peu désabusé, nous la présente comme une chance devenue prédation, un espace où l’émancipation se mue en désespoir, en agonie des ambitions. Comme le dit Wenny, dans l’une de ses discussions nocturnes avec Nancibell, « vivre est terriblement dangereux ». En Amérique surtout et en Europe aussi.

Vendredi 10 décembre, Pierre Iselin, Professeur émérite de littérature élisabéthaine à l’Université Paris-Sorbonne et ancien du Lycée Gay-Lussac (1962-1969) donnait une conférence sur « L’univers musical de William Shakespeare », à Limoges. 

Mise à jour de l’article en janvier 2022 avec la vidéo de la conférence.

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A l’initiative de la commission Culture, l’association des Anciens de Gay-Lu a le plaisir de convier Pierre Iselin à donner une conférence sur le thème “L’univers musical de William Shakespeare”. Cet événement “hors les murs” est une adaptation de celui initialement programmé l’an passé, mais annulé pour raisons sanitaires.

Pierre Iselin, Professeur émérite de littérature élisabéthaine à l’université Paris-Sorbonne est également fondateur et directeur des Sorbonne Scholars, ensemble spécialisé dans le répertoire de la musique de la Renaissance anglaise. Certaines de ces musiques de scène, enregistrées par son ensemble, illustreront son propos.

Le règne d’Elizabeth Ière en Angleterre (1558-1603) – âge d’or du théâtre et de la musique – est aussi celui de vives tensions à propos de l’art, entre des fondamentalistes qui s’y opposent et une population qui se presse aux portes des théâtres. Alors…

  • Comment comprendre le succès du théâtre musical dans une société aussi divisée ?
  • Dans la « guerre des théâtres » qui marque la période, quelle place tient la musique de scène dans les troupes qui animent théâtres privés et théâtres publics ?
  • De quelle musique s’agit-il ? Sur quels instruments était-elle exécutée, et par qui ?
  • Comment Shakespeare a-t-il fait de la musique une utilisation de plus en plus personnelle dans son écriture dramatique ?

C’est à ces questions que Pierre Iselin tentera de répondre en illustrant son propos d’enregistrements réalisés avec les Sorbonne Scholars, le groupe de musique ancienne qu’il dirige depuis leur fondation.

 

📍 Vendredi 10 décembre à 18h30 – Auditorium Clancier de la BFM de Limoges
Entrée libre dans la limite des places disponibles. Masque et passe sanitaire obligatoires.

Détails sur l’événement > par ici !

Bienvenue à VORACE, la nouvelle revue littéraire « made in Limousin », dirigée par notre camarade Laurent Bourdelas, ancien du Lycée Gay-Lussac, écrivain passionné de littérature.

 

Illustration de couverture du n°1 de « Vorace », signée Jean-Marc Siméonin

Une nouvelle revue littéraire : VORACE

Fondée et dirigée par l’écrivain et historien, critique radiophonique (bien connu des auditeurs de Radio France et de RCF Limousin) Laurent Bourdelas (qui participa ou initia la création des revues Friches, Analogie et L’Indicible frontière), ce presque livre est destiné à ceux qui aiment la littérature sous ses différentes formes – avec voracité ! –, et savent s’extraire du tout numérique pour prendre le temps de tourner de vraies pages, en papier.

Elle allie deux fois par an les œuvres inédites d’écrivains, de poètes, d’artistes. Pour le numéro 1, dont beaucoup reconnus nationalement : Marie-Noëlle Agniau, Jean Azarel, Pierre Bergounioux (Gallimard, Verdier), Laurent Bourdelas (Stock, Le Mot et le Reste, Geste), Marc Bruimaud, Gérard Camoin, Jacques Cauda, Florent Contin-Roux, la photographe Marianne Danthieux, Falmarès, Gérard Frugier, Alain Galan (Gallimard, Buchet-Chastel), Alain Lacouchie, Gérard Lavalette, Denise Le Dantec, Jérôme Leroy (Gallimard, La Table Ronde), Eric Poindron (Le Castor Astral, Actes-Sud), Jean-Marc Siméonin, Eric Yung, Carole Zalberg (Grasset)… des hommages à Jean-Yves Griette, (bibliophile parisien) et Joseph Ponthus, écrivain disparu cette année (La Table Ronde).

Le numéro 2 (« Ogres et ogresses »), prévu au printemps 2022, est en cours de préparation – il sera diffusé par Geste.

Vorace #1 – Editeur : L’Arbre à Trucs. 80 pages. Septembre 2021

 

Le numéro 1 a reçu le soutien de la Ville de Limoges, très intéressée, en particulier du maire, M. Emile Roger Lombertie : « La Ville de Limoges a le plaisir de soutenir ce premier numéro, fidèle à sa volonté d’aider la création culturelle et littéraire, comme elle le fait avec Lire à Limoges ou la Bibliothèque Francophone Multimédia. Fidèle également à son label de ville créative de l’UNESCO. C’est encourager la littérature en se souvenant que Limoges et le Limousin sont, depuis les troubadours jusqu’aux auteurs contemporains, des lieux d’inspiration et d’accueil pour ceux qui écrivent. »

Notre camarade Gérard Peylet nous partage sa passion littéraire pour George Sand, au travers de cet essai « De l’universel à l’intime ». Une publication qui fait écho à une sortie culturelle organisée par la commission Culture des Anciens de Gay-Lu, « Sur les pas de George Sand » en mai 2019.

 

Le mot de l’éditeur

Grand écrivain romantique, maître à penser exceptionnel, George Sand est un des auteurs en qui s’incarne l’esprit du temps où elle vécut, ses passions, ses aspirations, ses déceptions. On la trouve liée à tous les grands courants aussi bien politiques, religieux, que philosophiques et littéraires. Il y a dans son œuvre une dimension d’universalité, d’humanisme. Elle a vécu le siècle, et elle l’a traduit dans son œuvre romanesque et autobiographique, dans des essais de toutes sortes, dans sa correspondance. Tous ces textes sont marqués par une générosité exceptionnelle, un désir d’améliorer la condition humaine en plaçant toujours un immense espoir dans l’éducation.

Ce livre éclaire l’unité de la pensée et de l’imaginaire sandien dans une diversité étonnante d’écritures et de genres. Il souligne aussi la modernité d’une œuvre dont le succès en France et dans le monde est toujours grandissant depuis le dernier tiers du XXe.

Si les études sandiennes sont nombreuses, on n’avait jamais encore abordé l’ensemble de ses textes, de façon aussi personnelle, en refusant de séparer, pour comprendre cette œuvre en profondeur, la personnalité, la pensée, et l’art de l’auteure. Un seul fil rouge réunit, dans la continuité, les trois parties de ce livre : la générosité, “l’œil du cœur”.

 

« George Sand, de l’universel à l’intime : “l’œil du cœur” » de Gérard Peylet. Editeur : Presses Universitaires de Bordeaux, Collection Imaginaires et écritures. Livre broché, format 16x24cm. 272 pages. ISBN : 979-10-300-0580-6. Septembre 2021

Biographie de l’auteur

Gérard PeyletGérard Peylet, professeur à l’Université Bordeaux Montaigne, est spécialiste de littérature moderne et contemporaine, plus particulièrement du XIXe siècle, du romantisme et de la littérature « fin de siècle ».  Il a publié récemment Joseph Rouffanche : une grande voix poétique (PULIM, 2019), L’intime en question aujourd’hui (Edilivre, 2020) et Ce territoire auquel on appartient (Edilivre, 2020). Impliqué depuis quelques années au sein des Anciens de Gay-Lu notamment dans la Commission culture, il est également la cheville ouvrière de la création de l’association ARAL (Association Régionale des Amis du Limousin).

Le temps de lire : « Des livres et vous ». Retrouvez chaque mois à l’antenne de RCF Limousin notre camarade Laurent Bourdelas, pour de nouveaux conseils de lectures, et une rencontre avec un écrivain. Passionné de littérature, il partage avec enthousiasme ses découvertes, ses coups de cœur, au fil de rencontres. Rendez-vous un mardi par mois à 11 heures pour cette émission originale.

 

Laurent BourdelasLaurent, pouvez-vous nous parler de cette nouvelle émission littéraire ?

J’ai commencé à faire de la radio alors que j’étais en classes préparatoires littéraires au lycée Gay-Lussac.

J’ai travaillé sur différents médias, en particulier RCF Limousin et France Bleu Limousin, pour des chroniques et des émissions consacrées à l’histoire, la culture et la littérature. Mon objectif premier est de faire partager ces passions et mes coups de cœur aux auditeurs: des spectacles, des évènements et surtout des livres (fiction, poésie, histoire…) – aussi bien d’écrivains nationaux et reconnus que d’auteurs écrivant en région.

Comme je pratique cet exercice depuis près d’une quarantaine d’années, j’ai la chance d’entretenir des liens avec la plupart des éditeurs et des milieux culturels, ce qui me permet de considérablement enrichir mes programmes.

Mon nouveau magazine a pour titre « Des livres et vous » car je suis persuadé depuis toujours que la lecture est une émancipation, peut-être la principale.

Retrouvez toutes les émission sur RCF Limousin.

 

Retour sur les émissions de 2020…

MARDI 15 DÉCEMBRE – Des livres et vous avec Stéphane Fradet-Pulzan

MARDI 17 NOVEMBRE – Des livres et vous avec Martial Andrieu

MARDI 20 OCTOBRE – Des livres et vous avec Paul Greveillac

 

Intéressés par la culture ? Suivez dans le Mag, au fil du temps, les actus des Anciens de Gay-Lu au fil des publications, sorties… dans la rubrique « En librairie », mais aussi au cinéma, sur les ondes… et plus si affinité !

 

Il faudra patienter jusqu’en 2023 pour explorer de nouveau sa demeure charentaise, antre d’une fascination orientale et d’une enfance heureuse, galerie d’une vie peuplée par l’appel de la mer et l’ardeur du souvenir. Le confinement ne nous permettant pas pour l’heure d’approcher les murs blancs du musée rochefortais, Romain Artiguebère nous livre son regard sur une face méconnue de l’œuvre de Loti.

 

Pierre Loti – Source Selvejp pour WikimediaCommons

Né il y a 170 ans au cœur du Saintongeais, le marin-écrivain a légué aux curieux une double autofiction, source d’inspiration à l’heure des réclusions forcées. Homme de l’Atlantique, bercé par les délices du pays basque et l’insularité nostalgique de sa chère Oléron, Julien Viaud est aussi le conteur d’un Orient fascinant. Derrière le spahi de Saint-Louis et le fantôme d’Aziyadé se tient toute la fragilité poétique d’un conquérant subtil, animé par un esprit voyageur que nous lui connaissions mais aussi attaché à une terre des origines qu’il sanctifie et muséifie à l’envi. Sous la vareuse trempée du révéré Borda sommeille en fait un pieux conservateur, gardien du royaume juvénile et du fortin des Viaud. Çà et là, aux abords d’une Charente immuable et discrète, qui coule sur son fief comme une artère vitale, il enchâsse un reliquaire d’objets, de sons et de pensées pour nourrir le décor de ses cahiers précoces. Dans Le Roman d’un enfant et Prime Jeunesse, respectivement publiés en 1890 et 1919, Julien Viaud donne à découvrir un pays : son passé. Galerie de souvenirs prolongés, antre des sensations, des chimères perpétuées. L’explorateur ardent, lauréat du prix Vitet à seulement 36 ans, dévoile ainsi toute sa fragilité mélancolique, alliage de réminiscences naïves et d’impressionnisme littéraire. En goutant à cette prose traversée par le regret des temps anciens, c’est bien à Marcel Proust – initié par sa mère aux écrits de Loti – que nous songeons sans nous fourvoyer. Le papillon citron-aurore, fil rouge des commémorations immatérielles, fait donc écho à la madeleine de tante Léonie, à cette conscience affective entrée dans la postérité des mots. L’ambivalence du rapport à la demeure, aux terres familières peuplées de souvenirs et d’odeurs, élève ce testament lettré en écrit inspirant à l’heure du confinement.

Son propre nom est un jeu sonore qui invite à saisir l’ardeur voyageuse du marmot de Rochefort. Loti, dont le patronyme allégorique est déjà en lui-même un appel au départ (il est emprunté à la langue polynésienne), semble aujourd’hui réduit à l’exotisme flamboyant de ses desseins d’enfant. A son évocation, nous songeons naturellement aux clichés délirants d’un zélé du grimage, élégamment drapé dans de longues toiles d’Orient, vêtu en Albanais ou surmonté d’un fez. De Dakar à Kyushu sans ignorer Stamboul et les îles tahitiennes de la reine Pomaré, le père d’Aziyadé narre jusqu’aux jouissances intimes des exils temporaires. Dans un style élégant, dont le raffinement ne fut que tardivement reconnu par les gardiens de notre Académie (il y fut admis en 1891 et apprit la nouvelle à bord d’un navire mouillant dans la rade algéroise), l’écrivain charentais a légué des portraits qu’une grappe de censeurs conspue aujourd’hui en dénonçant le racialisme ambiant d’un siècle finissant. C’est là un misérable procès par contumace, une sournoiserie dont les esprits étriqués cultivent le piquant et qu’il convient dès lors d’ignorer. Car derrière les déguisements fastueux et souvent truculents d’un Loti amateur de parures, sommeille chez cet auteur aujourd’hui méconnu la beauté contrariée de la mélancolie et les embruns subtils d’une vie intérieure enfouie sous l’apparat festif du voyageur. Viaud prétend figer sur le papier « la vétusté des choses, vague conception des durées antérieures » à lui-même et sa « mélancolie rêveuse en présence des vieux murs, des choses anciennes et du vieux temps ». On aurait donc tort de le restreindre à un primitivisme littéraire, à des quêtes foisonnantes ou à une simple frénésie de l’excursion. Si l’exploration est évidemment pour lui une aspiration, un appel transcendant aux allures de vocation, elle est aussi un déchirement tant la terre familiale revêt chez Julien Viaud une dimension charnelle et mémorielle. C’est précisément ce rapport ambivalent à une intimité enfantine aussi douce qu’oppressante que Loti donne à lire au fil des pages.

C’est à ce nouveau confinement que je dois la découverte du Roman d’un enfant, autofiction savoureuse dont je ne soupçonnais ni la volupté stylistique ni la résonance avec notre actuelle condition.

Pierre Loti chez lui dans sa pagode par Dornac. Salle dite « La Pagode japonaise ». Source WikimediaCommons

Nous le savons, la lecture est bien souvent affaire de rencontres. Sans le rassemblement fortuit des conditions indispensables à sa fertilité, point de plaisir ou de compréhension. C’est donc à ce nouveau confinement que je dois la découverte du Roman d’un enfant, autofiction savoureuse dont je ne soupçonnais ni la volupté stylistique ni la résonance avec notre actuelle condition. L’œuvre est traversée par une attention appuyée aux vétilles du quotidien, que la mémoire polit, rassemble et magnifie. Armé d’une insolente sensibilité, Loti brave dès l’enfance le couperet de l’oubli. Devant l’inanité de ses repos dominicaux et la torpeur des ruptures vacancières, il dresse ainsi la plume et saisit ce qu’il nomme les « arrêts de la vie ». Ces instants sont pour lui des temps morts féconds, où il perçoit déjà la « notion infuse de la brièveté des étés, de leur fuite rapide, et de l’impassible éternité des soleils ».

S’il est admis par beaucoup que la littérature libère en tant qu’elle brise la réclusion, le récit de l’intimité lotienne est d’autant plus fondamental qu’il porte en lui les germes de la vocation navale de l’écrivain tout en exaltant le regret des fiefs abandonnés. Cette œuvre, qui perça pourtant peu dans la bibliographie iodée de l’écrivain, est donc celle du tiraillement, le port d’attache de la Limoise et le souvenir d’Oléron concurrençant constamment l’attrait de l’inconnu et des rivages inexplorés.

Le Roman d’un enfant symbolise la fragilité poétique de la Mémoire, le souffle d’un souvenir à la fois guide et miroir. Ne dit-on pas d’ailleurs que la propre mère de Marcel Proust lisait à son cher fils quelques pages de Loti ? Dans un exigeant travail réalisé en 1959 pour l’Association internationale des études françaises, Pierre Costil a mis en lumière cette parenté dont il situe l’acmé entre 1887 et 1890. L’auteur de la Recherche aurait été touché par la « méthode de reconstitution » de son inspirateur saintongeais, mentor inavoué lui-même hostile au travers de l’autobiographie. Loti évoque plus volontiers des « jets de clarté brusques », couchés sur le papier comme une gouache encore fraiche. Le jeune Julien goûte ainsi à l’appel des marins comme pliant face au chant des sirènes d’une odyssée brimée. Cette ambivalence est aussi celle du confiné, porté à une introspection vertigineuse et à un goût d’ailleurs provisoirement contraint. Loti a poussé la création à son paroxysme en élevant son enfance molletonnée en épopée grandiose.

Façade voisine de la Maison de Pierre Loti, au 137 rue Pierre Loti à Rochefort (17) – Auteur Serge Lacotte via WikimediaCommons

Car Julien Viaud est un joueur jonglant avec son patronyme comme il le fait avec sa propre création. Il entremêle ainsi la transcription fidèle de ses pensées, lesquelles émanent d’un vieux Cahier intime partiellement exhumé dans Prime Jeunesse, et l’art d’un déguisement toponymique aux allures de fantaisie. Derrière ce Fontbruant absent des planisphères se cache ainsi le vrai village de Saint-Porchaire et la verdeur des chênes de Rochecourbon. Dans la même veine créatrice, il convient de noter que nombre de personnages sont identifiés dans le Roman au moyen de prénoms fictifs alors qu’ils retrouvent, dans la seconde partie de cette autofiction, leur franche identité. Lalie est ainsi abolie pour mieux rétablir la figure de tante Berthe. Tout agit comme un jeu de glace, où la souffrance de la mélancolie semble atténuée par l’inventivité d’un enfant créateur. Sans jamais tomber dans l’hétéronomie maladive d’un Pessoa frôlant souvent avec la dépersonnalisation créatrice et la schizophrénie littéraire, Loti entremêle donc à dessein l’identité heureuse du Protestant rochefortais, l’irrépressible envie d’ailleurs et la candeur d’un enfant soumis au dilemme de sa propre sensibilité.

Bien sûr, la richesse de Prime Jeunesse tient aussi et surtout dans le caractère initiatique du récit. C’est sur la terre des origines que Loti goûte pour la première fois aux plaisirs de la chair, la belle gitane dont il s’éprend à l’orée de son exil brestois incarnant à ses dépens la passion des contrées inconnues et des peuples encore inabordés.

Si cette œuvre est parfois réduite à l’expression d’irrémédiables contrastes, Loti opposant lui-même la blancheur lumineuse du Saintongeais à la frénésie colorée des voyages, on aurait tort d’extrapoler la moindre cassure biographique. L’auteur, qui a complété Le Roman d’un enfant à la fin de sa vie en lui adjoignant Prime Jeunesse, établit en réalité un pont entre ses expériences. Il avoue ainsi sans ambages qu’il aurait été probablement « moins impressionné par la fantasmagorie changeante du monde s’il n’avait commencé l’étape dans un milieu presque incolore, dans le coin le plus tranquille de la plus ordinaire des petites villes », bornant ses plus grands voyages aux bois de la Limoise qui lui semblaient « profonds comme les forêts primitives ».

Ce récit de l’enfance a donc les traits d’une confession marquée par une grande continuité. Loti ne renie rien, bien au contraire. C’est cette absence de cassure qui fait la richesse du texte et son ambivalence. Celui-ci est à la fois la rétrospective mature des prémices de la vie et le tableau naïf des jeunes années de Viaud.

La tendre autofiction des étés saintongeais, sise au seuil d’une émancipation marine déjà érodée par la soif du retour, a beaucoup à nous dire d’un écrivain gommé par certains de ses pairs et soufflé par le Temps, suprême autorité qui révère pompeusement ou délaisse à jamais. On dit ainsi de Proust qu’il n’aurait jamais reconnu l’influence de Loti sur sa plume prolifique, plus volontiers portée par l’influence grandiose de Saint-Simon, de Gérard de Nerval et de Chateaubriand. Le Roman d’un enfant témoigne pourtant des prouesses d’un capteur de souvenirs, dont le Fontbruant remémoré n’a pas à rougir devant la noblesse de Combray. Henri Juin nous a légués une formule de bon aloi : Loti est « goinfre et gouffre », assoiffé d’ailleurs et pourtant aspiré par l’intériorité du souvenir. Curieux écho à notre condition précaire de reclus malgré nous.

L’enfance est une valeur perdue, un terrain abandonné dont la richesse conditionne pourtant les quêtes ardues. C’est sans doute Georges Bernanos qui, sous la lune d’un Palma rougi par la guerre d’Espagne, a écrit les plus belles lignes à son propos : « On ne parle pas au nom de l’enfance, il faudrait parler son langage. Et c’est ce langage oublié ; ce langage que je recherche de livre en livre, comme si un tel langage pouvait s’écrire, s’était jamais écrit. N’importe ! Il m’arrive parfois d’en retrouver quelque accent…et c’est cela qui vous fait prêter l’oreille ». Loti aussi a réussi ce pari audacieux : faire parler l’enfance.

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