Notre camarade, le Docteur Gérard Terrier nous a fait l’honneur de présider le Banquet 2018 de l’Association. En amont de l’Assemblée générale, il a donné une conférence sur le thème « Evolution de l’anesthésie, de la chirurgie pédiatrique et du traitement de la douleur à Limoges, de la première Guerre Mondiale à nos jours ».
En réponse à différentes sollicitations, notamment de personnes n’ayant pu assister à son intervention, retrouvez aujourd’hui le contenu de son intervention.

 

Gérard TerrierChers camarades, chers amis,

Le Président Jean-Pierre LEVET m’a demandé, en préambule à nos agapes, de vous faire une petite causerie apéritive. J’ai donc choisi de vous entretenir d’un domaine dans lequel j’ai évolué pendant plus de quarante ans : l’anesthésie et la chirurgie de l’enfant. Nous verrons parallèlement l’évolution du traitement contre la douleur, en fonction des drogues et techniques disponibles au cours de ces années.

 

Les progrès de la chirurgie se sont appuyés depuis le début du XXème siècle, sur le développement des techniques anesthésiques. Il est intéressant d’étudier l’évolution de l’anesthésie dans un service de chirurgie pédiatrique et, plus particulièrement dans celui que nous avons à proximité : le service de Chirurgie pédiatrique de l’Hôpital de la Mère et de l’Enfant, plus communément appelé l’HME de Limoges.

Mais sachez que cette localisation a été précédée de deux autres :

  • la première à l’Hôpital général près de la mairie de Limoges et actuellement reconverti en BFM (Bibliothèque Francophone Multimédia)
  • la seconde, depuis 1975, au CHU Dupuytren
  • jusqu’à l’ouverture de l’HME Hôpital Mère-Enfant en 2007.

Il m’a paru intéressant d’analyser les comptes rendus opératoires que j’ai pu retrouver depuis la fin de la première guerre mondiale. Ceux-ci sont souvent brefs et imprécis, mais ils mentionnent le plus souvent la technique anesthésique utilisée, la qualité de celui ou celle qui l’a administrée et les éventuels incidents survenus au décours de l’intervention. Par contre, ces comptes rendus sont particulièrement pauvres quant aux techniques ou thérapeutiques à visée antalgique.

 

L’activité opératoire

Jusqu’en 1930, l’activité opératoire est faible : une soixantaine d’interventions par an. Elle augmente ensuite sensiblement pour atteindre 263 interventions en 1942, puis se stabilise (227 opérations pour l’année 1955).

A l’ouverture du service de Chirurgie pédiatrique, avec l’arrivée d’un « vrai » chirurgien pédiatre (le Professeur Jean-Luc ALAIN) en 1973, le nombre d’interventions, mensuelle cette fois, va croître régulièrement de 30 par mois à plus de 150, soit entre 1700 et 2000 interventions par an !

Il s’agissait principalement dans la première moitié du XXème siècle d’interventions de chirurgie viscérale (appendicectomies – dont environ 30 à 50% se compliquaient ou mouraient – et hernies inguinales), et de chirurgie orthopédique. Jusqu’en 1930 prédominaient les traitements chirurgicaux d’ostéomyélites, les antibiotiques n’étant pas encore à disposition. L’antalgie est assurée par l’immobilisation, le chaud (bouillottes) ou le froid (vessie de glace).

En 1973, les produits permettant de lutter contre la douleur comprennent certains morphiniques (Péthidine, Fortal®, Palfium®) et des anti inflammatoires (aspirine, paracétamol, AINS).

A noter que nous avons réalisé, avec le Professeur ALAIN et les docteurs Dominique GROUSSEAU et Bernard LONGIS, en 1990, une première chirurgicale mondiale : l’opération d’un nouveau-né par coelio chirurgie.

Le Professeur ALAIN a eu comme successeur le Professeur Dominique MOULIES, éminent chirurgien orthopédiste pédiatre. La responsabilité du service est assurée de nos jours par le Professeur Laurent FOURCADE, auteur d’une première chirurgicale européenne : l’opération d’une atrésie de l’œsophage chez un nouveau-né à l’aide d’un robot chirurgical.

 

L’anesthésiste

Longtemps pratique non médicale, l’anesthésie est assurée sous la responsabilité du chirurgien par l’externe du service ou, plus rarement, par un « stagiaire » dont on ne sait trop qui il était…

Lors des gardes, l’anesthésie est « donnée » (quelle générosité !) par celles qui sont toujours présentes à l’hôpital, de jour comme de nuit : les religieuses de la Communauté de Saint-Alexis.

Il faudra attendre 1954 pour que soit mentionnée, pour la première fois, la présence d’un médecin anesthésiste (sans doute Madame le Docteur Madeleine LEPETIT, ou le Docteur Georges NICOT, futur Professeur de Pharmacologie). De nos jours, il serait inconcevable qu’un enfant soit endormi par quelqu’un d’autre qu’un médecin qualifié, assisté d’une infirmière aide-anesthésiste, dénommée IADE et même d’un médecin ayant choisi cette surspécialité qu’est l’anesthésie – réanimation pédiatrique. En effet, un enfant n’est pas un adulte en miniature !

 

Les techniques

Techniques d’anesthésie locale

1-Anesthésie par réfrigération : A partir de 1916, on voit mentionné le chlorure d’éthyle en pulvérisation pour les incisions d’abcès. Entre 1937 et 1944, des mélanges glace/sel permettent entre autres de réduire des luxations ou des fractures du membre supérieur ou de la jambe et du pied.

2-Anesthésie par infiltration : plusieurs produits sont mentionnés : la cocaïne à partir de 1916, puis la procaïne ou la novocaïne à partir de 1921.

De nos jours, les anesthésies locorégionales, même chez le petit enfant, ont été largement développées, à la fois pour le peropératoire, mais aussi pour procurer une analgésie postopératoire de qualité. Les produits sont aussi beaucoup plus maniables.

Techniques d’anesthésie générale

1-Les drogues :

Bien que le chlorure d’éthyle soit parfois cité (pour l’ablation des amygdales par exemple), c’est le chloroforme qui est, jusqu’en 1927, l’agent volatil le plus employé. A partir de cette date, l’éther fait son apparition. Le choix de la technique varie selon les habitudes de celui ou de celle qui est qualifié « d’anesthésiste ».

Il arrivait même qu’il n’y ait qu’un substitut à l’anesthésie : chez le nouveau-né, il arrivait même que des hernies soient réduites ou des laparotomies pratiquées avec ce qu’il était convenu d’appeler « l’anesthésie à la sucette » ou parfois à la compresse (Diapo 7) devant l’impossibilité de perfuser ces petits patients faute de matériel adapté. Inimaginable de nos jours…

Entre 1935 et 1946, deux préparations anesthésiques sont aussi utilisées : le mélange de SLEICH (éther éthylique, chloroforme et chlorure d’éthyle) et le Balsoforme (qui contient en plus du goménol à visée anti catarrhale et antiseptique). Je vais vous donner mon point de vue sur ces mélanges : outre un doute sur leur meilleure efficacité due à la combinaison de plusieurs produits, je puis surtout affirmer que, s’il survenait un incident –voire un accident – au moins, on ne savait pas à quel produit il était dû ! A partir de 1949, le chloroforme est abandonné.

Le 29 novembre 1946, la première anesthésie intraveineuse est pratiquée chez un enfant à Limoges par injection d’un barbiturique, le thiopental, introduit en France par les américains en 1945. Cette technique est mal jugée par le chirurgien qui note sur le compte-rendu : « Très mauvaise anesthésie, le malade n’a jamais dormi ». Mauvaise utilisation ou préjugé défavorable envers un produit nouveau ? Il est bien difficile de trancher. Malgré cette première expérience peu encourageante, l’utilisation des barbituriques devient plus fréquente.

En 1950, un curare, la D-tubocurarine, est mentionné, précédant la Gallamine en 1953. Les curares sont destinés à provoquer une paralysie musculaire réversible, facilitant les gestes chirurgicaux.
En 1955, le protocole anesthésique le plus fréquemment cité consiste en une induction intraveineuse au Thiopental, suivie d’un entretien de l’anesthésie par inhalation d’éther.

Rapidement, dans les années 1970-80, l’anesthésie a été pratiquée par induction intraveineuse de Nesdonal (qui a remplacé le thiopental) et entretenue par une vapeur halogénée (le Fluothane, qui avait heureusement remplacé l’éther, puis le Penthrane).

De nos jours, c’est en quelque sorte l’inverse : l’induction est pratiquée par inhalation d’un anesthésique volatile halogéné (le Sévofurane) et l’entretien est assuré par, soit un produit intraveineux (le plus souvent du Propofol) soit une inhalation (Nb : une particularité du Propofol : il peut donner, employé seul, des rêves érotiques chez les femmes…pas chez l’enfant !). On y adjoint des morphiniques, des curares et/ou des techniques locorégionales, en fonction du type d’intervention.

Lorsque l’intervention est d’une certaine durée, la technique dite du « circuit fermé » est utilisée, permettant une épargne des produits anesthésiques et une moindre consommation de gaz anesthésiques (oxygène et protoxyde d’azote), et donc une meilleure protection de l’environnement.

2-Le matériel

L’anesthésiste des débuts doit disposer comme nous le rappelle un manuel de 1919 :

  • « d’ouvre bouche et de pinces à langue pour écarter les mâchoires contracturées et saisir la langue,
  • d’instruments et de médicaments destinés à parer aux accidents qui peuvent survenir : quelques ballons d’oxygène, une seringue de PRAVAZ pour faire des injections d’éther, de caféine ou d’huile camphrée,
  • d’une série de masques grillagés si on emploie le procédé de la compresse, ou bien d’un appareil d’OMBREDANNE »

Tout cela a bien changé de nos jours, avec l’utilisation généralisée du matériel à usage unique, des recommandations nombreuses de sécurité, de l’utilisation de matériel informatisé capable de calculer les doses à administrer en fonction des paramètres du petit malade et donc, conséquence heureuse, la raréfaction des incidents ou accidents d’anesthésie.

La préparation du malade

Le malade était purgé et restait à jeun depuis la veille de l’intervention (12 heures pour les aliments solides et 6 heures au moins pour les liquides). Ces délais sont très raccourcis de nos jours. Il n’est pas fait mention dans les comptes rendus d’une quelconque prémédication, vagolytique ou autre. Il est toutefois conseillé dans les années 1920 « d’effectuer les préparatifs dans une pièce voisine de la salle d’opération, pour ne pas effrayer le malade, qui a besoin d’être rassuré par quelques bonnes paroles ».

Un conseil qui reste d’actualité, même si maintenant les parents accompagnent leur enfant jusqu’au bloc opératoire, voire jusqu’à l’endormissement de leur progéniture.

 

Incidents et accidents

Certains comptes rendus opératoires font douter du strict respect des conditions d’asepsie : « une araignée sur la table », « mouches multiples sur le champ opératoire…et ailleurs » sont notés dans une relation de 1941. « Présence de moustiques divers et abondants » sont encore précisés en 1942.

Des complications plus directement liées à la technique anesthésique sont également citées. Par exemple lors d’une intervention pour cure d’une sténose du pylore, des vomissements abondants surviennent, sans que les éventuelles conséquences de cet accident ne soient notées.
Plusieurs cas de « syncopes chloroformiques » sont rapportées. L’un d’entre eux est attribué par le chirurgien « à une anesthésie trop légère et à un changement récent de chloroformiste jeune et moins expérimenté ». Il n’a pas forcément tort !

Une autre fois, deux syncopes successives, chez un enfant de cinq ans, opéré pour une invagination intestinale, aboutissent au décès du petit malade. Il est à noter que quasiment toutes les invaginations intestinales, opérées avant 1965, mouraient.

En 1946, un cas « d’hyperthermie majeure » est décrit, chez un enfant de trois ans, lors de la tentative de réduction d’une luxation congénitale de hanche, dans le but de lui installer un appareil plâtré sous anesthésie au chloroforme. Le petit patient décède à la 10ème heure postopératoire. Il s’agit là sans le moindre doute d’un cas de ce qu’on appelle maintenant une hyperthermie maligne (fièvre montant au-dessus de 41° de température), traitée de nos jours relativement simplement par Dantrolène (produit qui a aussi d’autres indications, chez les myopathes ou, peut-être dans…l’alcoolisme !).

La mortalité opératoire est variable selon les années. Elle atteint un maximum entre 1936 et 1945 : 26 enfants décèdent pour un total de 1767 interventions en 10 ans, soit 1,5%. La moitié des décès est due à des péritonites appendiculaires (la pénicilline ne fait son apparition qu’en 1945, et à Limoges en 1946). Durant cette même période de 1936 à 1945, le taux de mortalité des invaginations intestinales aiguës (retournement d’une portion de l’intestin grêle sur lui-même) est de 100% (10 cas).

A deux reprises, en 1947 et en 1950, des enfants polytraumatisés décèdent du fait de l’impossibilité de les perfuser.
Tous ces incidents et accidents ont disparu. La mortalité peropératoire est maintenant inférieure à 1/300 000. Que de progrès…

 

Le traitement de la douleur

Comme je l’ai mentionné au début de cet exposé, les débuts ont été difficiles…surtout pour les malades ! Peu ou pas d’analgésie, en dehors de l’immobilisation (pour les fractures et les interventions orthopédiques), le chaud (avant l’interdiction des bouillottes dans les années 1980), le froid (vessies ou bains de glace), la « sucette » et…les bonnes paroles des religieuses ou des autres soignants du type « Mais non, ça ne fait pas très mal » ou « ça va passer ! ». N’oublions jamais la référence à la souffrance du Christ…

La morphine (que certains écrivaient « mort fine » en deux mots) n’est pas utilisée chez l’enfant (et très peu chez l’adulte !) de peur de ses effets secondaires et…du risque de toxicomanie ! Et pourtant cette « méfiance » est récente : l’opium et ses dérivés sont connus depuis l’antiquité, puis l’opium avait fait son apparition en Europe grâce aux enseignements d’Avicenne. C’est Paracelse qui l’introduit vraiment en l’utilisant chez…la poule ! Sydeham l’utilisera au 17ème siècle sous le nom de Laudanum. La morphine (en référence à Morphée) fut synthétisée par Sertüner en Allemagne qui publia ses travaux en 1811. Mais en France (je ne parle pas de Limoges !) l’utilisation de la morphine se heurte à la mauvaise image de l’utilisation que nous dirions « récréative » faite par certains artistes comme Charles Baudelaire.

A Limoges justement, les dérivés morphiniques que j’ai déjà cité (Dolosal, Fortal, Palfium) ne seront vraiment utilisés de façon courante, mais parcimonieuse, que dans les années 1960-1970. Etaient utilisés par contre, mais là encore avec parcimonie, les anesthésiques locaux dérivés de la cocaïne, en injections locales.

Au fil des ans, l’apparition de dérivés synthétiques, jusqu’à 100 fois plus puissants que la morphine, plus maniables et plus sécurisants, fit que l’analgésie se développa de plus en plus. De nos jours, l’antalgie post-opératoire est même anticipée, juste avant la fin de l’intervention chirurgicale. L’administration continue à l’aide de seringues électriques facilite aussi l’analgésie. Des formes orales, anales, transdermiques, trans muqueuses (nasales) sont disponibles. Couplées à des techniques d’anesthésie locorégionale et à d’autres produits (AINS par exemple) tous ces produits permettent maintenant une analgésie multimodale, adaptée à l’intervention et au patient. Oui, il est possible de lutter actuellement très efficacement contre la douleur et sinon de la faire disparaître, au moins de la rendre toujours supportable.

 

Conclusion

C’est au cours de la période 1915 – 1955 que, selon le Professeur BAUMANN, « l’anesthésie s’est élevée d’une pratique empirique au rang d’une science : l’anesthésiologie ». Cette évolution est marquée par la médicalisation de la discipline, reconnue comme une spécialité à part entière. Elle a permis, parallèlement, les progrès de la chirurgie. Il faut également souligner l’importance des progrès réalisés dans les domaines de la pharmacologie (en particulier des antalgiques morphiniques ou autres), de la physiologie et des techniques biomédicales (anesthésie à objectif de concentration, techniques locorégionales, analgésie multimodale…). Cela nous a permis, à Limoges en 1990, comme je l’ai déjà cité tout à l’heure, de réaliser une première mondiale chirurgicale : l’opération d’un nouveau-né par célio chirurgie.

Les enfants sont régulièrement opérés par robot à l’HME où le Professeur FOURCADE a lui-même réalisé une première européenne.

L’aventure continue…

 

Merci à notre camarade Gérard Terrier pour cette conférence passionnante.

En lien avec le domaine médical, il a récemment publié Us et Coutumes de la Salle de Garde aux éditions l’Harmatan, il y porte un regard amusé sur ces traditions au sens initiatique certain de la salle de garde.

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